Un petit pas pour l'humanité, un pas de géant pour moi
Chaque année, des milliers de marcheurs empruntent les fabuleux chemins du pélerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Seul ou en groupe, voyage spirituel ou challenge sportif, à pied ou à vélo, le chemin est une expérience unique pour chacun d'entre nous.
Depuis de longues années, ce projet un peu fou me trottait dans la tête. Mais les conditions n'étaient pas réunies pour que je puisse mettre ma vie entre paranthèses pendant les cinq à six semaines nécessaires pour parcourir les 850 km séparant Saint-Jean Pied de Port, petit village perdu au pied des pyrénnées françaises, à Saint-Jacques, ville sainte en Galice espagnole où repose la dépouille de l'apôtre devenu le symbole évangélisateur de la péninsule ibérique.
J'ai donc pris mon mal en patience et je me suis beaucoup documenté car quand on attrape le virus, il est difficile de s'en débarasser.
Des livres historiques aux guides pratiques, des récits de voyage aux romans initiatiques, mon imaginaire n'a fait que me pousser vers ces lieux mystérieux jusqu'à ce que je décide de ne plus attendre. Mû par cette irrésistible envie de partir, j'ai finalement trouvé un compromis : je vais faire le chemin en plusieurs fois !
Cependant, il me faut encore patienter. Je dois me préparer physiquement et mentalement. J'ai également besoin de matériel.
Finalement, à l'aube de des cinquante ans, le projet commence à prendre forme, à devenir concret.
Mais je ne suis qu'au début de mes surprises car il était dit que ce voyage prendrait une tournure incroyable.
Commencer par la fin ?
Pour fêter mes cinquante ans, la femme de ma vie m'organise une surprise de taille ! Connaissant mon projet, elle m'invite à me rendre à l'aéroport pour un voyage surprise et nous nous envolons pour Saint-Jacques pour y passer un weekend à deux.
Je découvre donc le point final de mon futur pélerinage. Et c'est pour nous deux une expérience à la hauteur de mes espérances. La ville est splendide et nous partageons des moments intenses dans ses ruelles pleines de vie où se cotoyent en parfaite harmonie touristes, pélerins, étudiants et locaux .
La présence bienfaisante de l'apôtre est partout.
On se sent bien, on se sent libres, on se sent heureux.
Le jour du départ
Finalement, en Avril 2017, je prends le train de Bruxelles à Bayonne pour une semaine de marche sur le chemin de Compostelle.
Je parcours les premiers 120 km de mon cheminement, heureux et perdu à la fois. La douleur et la fatigue m'aident à me déconnecter de ma vie d'avant. Car il y a un avant et un après le Camino. Plongé dans l'instant présent, j'avance pas à pas, en suivant les autres pélerins.
Aventure humaine s'il en est, le pélerinage est fait de rencontres furtives, de sourires, de pleurs, d'entre-aides, d'échange. Je cotoie une faune tellement diverse qu'il m'est impossible de définir la notion de pélerin.
Le silence
Le cinquième jours de marche est pour moi le plus dur. Parti de bonne heure, j'ai prévu de parcourir 30 km. Et puis, à la moitié de mon parcours, j'arrête de penser...
Pendant presque deux heures, la petite voix qui m'accompagne depuis toujours se tait. Je n'ai plus conscience que de mon corp en souffrance et de la nature qui m'entoure. Je ne sens plus le vent piquant, ni le soleil brûlant. J'oublie mes angoisses existentielles et mes doutes, je libère mes certitudes et mes valeurs. Mon monde est silencieux. Je ressens uniquement la vie, l'appartenance à quelque chose de plus grand et d'immensement puissant.
Cette expérience unique vaut toute les privations et il m'arrive de temps en temps à faire resurgir ce sentiment d'étrange pleinitude, profondémment inscrit dans ma chair.
Ce soir là, j'ai participé à la messe des pélerins avec deux sud-coréens, trois américains, un couple de néo-zélandais et quelques italiens, avant d'aller diner ensemble dans une petite brasserie qui propose un menu pour pélerins à 12 euros. Nous avons probablement vécu la même chose durant cette étape car les visages sont rayonnants. Personne n'en parle mais tout le monde semble savoir.
Après une nuit sans rêve, je suis le premier à me remettre en route. Au bout de mes quatre heures de marche, je décide d'abandonner les auberges pour pelerins pour le comfort rustique d'un hôtel deux étoiles. Je profite d'une vrai salle de bain et d'un lit un peu convenable lorsque Laura m'appelle pour m'annoncer que je vais devenir grand-père.
Certain n'y verront qu'une simple coincidence, mais il me plait à croire que ce petit garçon qui va chambouler ma vie n'est pas le fruit du hasard.