Nous avons tous nos penseurs fétiches.
Ceux ou celles qui nous ont influencé et inspiré dans nos parcours de vie en fonction de nos sensibilités et de nos espérances. Je pourrais citer un grand nombre d'auteurs tels que Hermann Hesse, Stefan Zweig, Thomas Mann, Paulo Coelho, Didier van Cauwelaert et bien d'autres dont les écrits m'ont touché. Ces auteurs ont plusieurs point communs : des romans initiatiques inspirants et des personnages d'une complexe humanité et d'une puissante force d'identification.
Et que dire des philosophes qui depuis plus de 2.500 ans ont proposé aux hommes des modes de pensées et d'actions pour les aider à mieux vivre dans un monde de plus en plus complexe et en constante évolution. Je ne crois pas en une philosophie unique qui permettrait d'appréhender avec sérénité tous les aléas de l'existence. Je peux me comporter en parfait épicurien, en stoïcien, en cartésien ou même en nihiliste en fonction de la nature des évènements et de la charge émotionnelle qu'elles déclenchent en moi.
J'ai pourtant trois penseurs qui m'ont toujours accompagné et vers qui je me tourne lors de moments de doute ou d'introspection.
Erasme
"On ne naît pas homme, on le devient"
On connaît Desidérius Erasmus Rotterdamus pour L'éloge de la Folie et pour son passage dans notre commune au début du XVIe siècle. Le Prince des humanistes n'a qu'une obsession : la propagation des belles lettres qu'il considère comme étant un moyen d'accéder à une vie meilleure. A travers ses adages et ses colloques, ainsi qu'à l'aide de ses écrits sur l'éducation, Erasme a promu l'idée de l'accomplissement de l'homme par l'instruction. De plus, cet érudit catholique qui entretient une impressionnante correspondance avec l'élite intellectuelle de son époque et qui côtoie les rois et les grands d'Europe a toujours su garder son indépendance et sa liberté de pensée, même lorsque les circonstances l'appelaient à la plus grande prudence. En plus de partager le même prénom (Didier ayant pour racine Desiderius), je partage cette soif de liberté, cette idée d'élévation par l'éducation, ce respect de la personne humaine, cette vision d'un monde sans frontières ouvert à toutes les bonnes volontés, ces valeurs d'amitié et de partage qu'il a défendues tout au long de sa longue vie.
Sartre
"L'existence précède l'essence"
Etudié à l'école, Jean-Paul Sartre, un des grands maîtres de l'existentialisme et un héros de la jeunesse révoltée de mai 68, fut une des plus grandes influences de mon adolescence. Après avoir lu "Huis Clos", "Les Mains Sales" et "Les Mouches", le petit ouvrage intitulé "L'existentialisme est un humanisme", petit condensé de la pensée existentialiste pour ceux et celles que la lecture de "L'être et le Néant" rebutent, tombe entre mes mains. Avec Sartre, je découvre une pensée de l'action qui bouleverse le jeune adulte en construction que je suis : "Dieu n'existant pas, la nature humaine n'existe pas et l'homme est condamné à être libre". Cette obligation de liberté est en même temps grisante et effrayante car elle nous rend seul responsable des choix que nous posons. Il n'y a plus de morale pré-définie, ni de prédestination, ni de code de conduite imposé à suivre. L'homme est seul maître à bord et tout est à inventer, en fonction de la personne qu'il veut être. A lui de choisir ses limites et les valeurs qui vont guider ses actions dans un environnement hostile et extrêmement formaté. J'ai très vite compris que cet incroyable pouvoir pouvait être déstabilisant car nous subissons un conditionnement dès notre petite enfance à travers l'éducation de nos parents et, plus tard à travers les codes imposés par la société. Comme c'est à l'adolescence qu'apparaissent les grands questionnements existentiels qui vont nous propulser dans la vie d'adulte, la pensée de Sartre m'a aidé à me construire dans un contexte social et familial explosé sans plus aucun point de repère solide. Grâce à lui, j'ai accepté l'invitation à devenir maître de ma destinée, à m'accepter tel que je me voyais, à prendre le risque d'affirmer mes différences pour un voyage plein d'embûches mais riche et authentique.
Spinoza
"Dieu c'est à dire la nature"
La découverte de l'Ethique de Baruch de Spinoza fut pour moi un véritable choc. Cet ouvrage complexe du fait de sa structure et de ses démonstrations logiques recèle un merveilleux message. Le philosophe néerlandais nous démontre que tout l'univers répond au principe mécanique de cause à effet, même le destin des hommes. Ce modèle de déterminisme causale d'une logique déconcertante élimine le dessein intelligent d'un Dieu tout puissant de l'équation. Seule la nature et ses lois sont à l'œuvre dans nos vies ! Nos actions et nos prises de décisions répondent donc à une succession de causes et ont toutes des effets non pas prévisibles mais logiques. Finis les mystères de la foi. La croyance en Dieu m'étant inaccessible, je trouvais enfin un modèle qui me confortait dans ma vision agnostique du monde, dans cette idée de l'existence d'une puissance impossible à comprendre mais toujours active dans nos vies.